Anny Duperey
 

Anny Duperey : Les échos

 

Dernière modification : 18 novembre 2005

 

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L'enfance décapitée

 

   Dans le tiroir d'une commode, des négatifs de photos dormaient, depuis vingt ans, auprès d'un livret de famille. Le livret portait la mention du mariage, puis du décès, de Lucien et Ginette Legras. Les négatifs avaient été pris par Lucien, photographe professionnel à Rouen. Ils dormaient là, parfois, l'auteur ouvrait le tiroir, puis le refermait. Une lettre s'y ajouta, lue puis enterrée, celle d'un ancien camarade de Lucien, qui proposait de parler de lui...
   Etrange, émouvant, exceptionnel itinéraire que celui que nous raconte, ici, Anny Duperey. La comédienne, oui, la grande fille toute simple aux yeux limpides, symbole, dirait-on, d'équilibre et de sérénité. Sans doute les lecteurs de ses deux romans, « L’admiroir » et « Le Nez de Mazarin », deux vrais livres d'écrivain, déjà, se doutaient­ils que cette belle assurance cachait peut-être des gouffres d'angoisse, et une perpétuelle hantise de la mort. Mais comment deviner ce qu'elle révèle ici, à l'issue d'un long, douloureux, mais exigeant voyage intérieur qu'accompagne, aide et fait aboutir, justement, l'écriture ?
   Anny Duperey avait huit ans et demi quand un dimanche matin d'automne, le 6 novembre 1955, alors qu'elle aurait dû, à la demande de ses parents les rejoindre dans la salle de bains de leur petit pavillon de la banlieue de Rouen pour faire sa toilette avant d'aller assister à un grand déjeuner de famille, elle choisit la désobéissance, traîna au lit et se rendormit. Réveillée à onze heures, surprise par le silence, alors que sa petite soeur de cinq mois reposait calmement dans son berceau, elle alla, enfin, dans cette salle de bains dont un chauffe-eau défectueux tardait à être réparé. Et découvrit ses parents allongés nus, et morts. Asphyxiés.
   Comment oublier ? Justement, la petite Anny a oublié. Conséquence du choc, volonté, auto-défense, Anny n’a jamais pleuré, jamais reparlé de ses parents, chez la grand-mère paternelle et la tante qui l'ont hébergé -la famille maternelle prenant la petite soeur- au point d'inquiéter ces femmes qui l'ont cru, longtemps insensible, voire anormale. Elle s'est installée dans « l'après », fabriquant « des anticorps à la douleur », elle est devenue « un bloc de négation ». Qui, très vite - à 17 ans- a fui la famille, pour s'installer à Paris, où le succès vint à point pour contribuer, encore un peu, à cacher l'angoisse. Fuyant systématiquement toute attache, sentimentale ou même immobilière, traînant son sac et sa liberté avec une belle santé, la jeune comédienne n'a jamais, jamais voulu lever ce « voile noir » qui cachait totalement un un « avant » devenu sans existence. Plus de souvenirs. Plus d'envie de souvenirs…
   Pourtant, par moment, des rêves, un sentiment envahissant de désespoir, la sensation d'être « coupée en deux » et l'envie, peu à peu, puisqu'après tout « on enterre bien les décapités avec leur tête » de finir, elle aussi, « entière » ont peu à peu ébréché dans l'inconscient d'Anny le mur de l'oubli. Un compagnon solide enfin accepté auprès d'elle, des enfants enfin conçus - elle ne voulait pas donner la vie, non plus- un ami plus âgé qui tente un brin de psychanalyse, ont continué de creuser le chemin. D'émouvants clichés ressuscités.
   Et ces photos de la commode, enfin tirées, admirables, ont servi de déclic. Ressuscitant, entre d'émouvants clichés d'aubes embrumées, de cimetières sous la neige, de rues obscures aux pavés mouillés, le bonheur lumineux d'un couple qui s'aimait, et choyait une jolie petite fille, Anny, au sein d'une nombreuse et chaleureuse famille, elles ont déclenché l'envie de l'écriture. Par ce qu'elles font naître d'hypothèses, sur l'amour de ces parents jeunes et beaux, sur le charme d'un Lucien au sourire lumineux, à la tendresse si évidente, dans cette photo sur un bateau, pour la petite fille en maillot de tricot qui, le souvenir se réveille subitement, grattait, et sur la tristesse des yeux de Ginette, des yeux qui sont aussi ceux d'Anny prise en gros plan, et d'Anny aujourd’hui, quand elle est seule avec elle-même, face à son miroir...
   Cette enquête sur deux personnages occultés et portant toujours présents en elle, et sur elle-même qui les avait rejetés, Anny Duperey la mène avec tant de courage, de lucidité, d'intelligence de fierté et d'humilité à la fois qu'on la suit le coeur serré, la gorge nouée, ressentant comme elle, en regardant les photos magnifiques qu'elle commente, l'absurdité, l'injustice de ce petit grain de sable qui a fait basculer son destin. Et c'est avec elle qu'on essaie de survivre, de se cuirasser, de rire, puis qu'on se laisse ébranler, qu'on tourne autour de l'indicible, qu'on approche le voile noir, qu'on a, enfin, envie qu'il se déchire.
   En fermant le livre, on est bouleversé. Et admiratif. Du ton, de la tenue, de la nécessité de cette confession si difficile, si intime, si exemplaire, aussi.

Annie Coppermann, Le Echos, 14/04/1992

 

 

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